© Mégane Saint-Sulpice
fabrication fromage corse valicella

Je suis allée produire du Brocciu AOP sur le domaine corse de Valicella

Par Mégane 8 min. de lecture
5/5

Lorsque l'on évoque la gastronomie insulaire, le Brocciu est spontanément cité comme LE fromage emblématique de l'île. Le poète Emile Bergerat écrivait d'ailleurs, à la fin du 19ème siècle : “Qui n’en a pas goûté ne connaît pas l’île”.

Le Brocciu est un produit local à base de lait et lactosérum (petit lait) de chèvre ou de brebis, voisin d'autres produits italiens ou sardes. Une sorte de fromage frais, peut-être, mais résolument unique par ses saveurs, ses usages, et l'attachement patriotique qu'on lui accorde en Corse. Cela justifie sans doute une appellation d’origine depuis 1963 et une AOC (appellation d’origine contrôlée) depuis 1998.

Pour connaître les dessous de ce met renommé, l'un des plus réconfortants de l'Île de Beauté, je suis allée passer du temps avec les producteurs du domaine Valicella. Une expérience d'une rare richesse qui m'a menée encore plus loin sur les sentiers de l'artisanat local.

Au sommaire
  • Un peu de culture autour du Brocciu
  • Il est 6h du matin au domaine Valicella, en Corse-du-Sud...
  • Du chaudron à la faisselle, la tradition du Brocciu
  • Le fruit de la transmission dans la famille Marcellesi
  • Un itinéraire savoureux chez Finidori et Nicolaï

Un peu de culture autour du Brocciu

En Corse, il existe une légende sur les origines du brocciu. Une telle merveille ne peut que provenir de récits extraordinaires. Voici la légende telle qu’elle est contée sur le site officiel de l'AOP Brocciu :

Il était une fois la casa di l’urcu. D’après la légende, en des temps très reculés, le Dolmen, dit de la Casa di l’Urcu, était habité par un ogre particulièrement cruel. Las, les habitants des lieux décidèrent de supprimer ce terrible géant qui non content de les terroriser, volait leurs brebis et leurs chèvres. Or, l’ogre avait un précieux secret, celui de la fabrication du Brocciu et lorsque, par la ruse, les bergers purent le capturer, celui-ci en échange de sa vie voulut négocier sa délicieuse recette. Les bergers firent semblant d’accepter et lorsque l’ogre leur délivra son secret, ils le tuèrent sans aucune autre forme de procès.

Comment mange-t-on le Brocciu ?

Le brocciu est très consommé en Corse, nature, en accompagnement de plats traditionnels tels que la “pulenda” (polenta), ou bien au dessert avec du sucre et de l'acqua vita”.

Il existe de nombreuses recettes à base de brocciu : falculelle et imbrucciate (pâtisseries), fiadone (gâteau d'origine bastiaise, dit-on), omelette au brocciu, cannelloni et ravioli au brocciu, storzapretti, fritelle (beignets), terrines au brocciu et à la menthe, etc. La liste est longue...

brocciu fabrication en faisselle chez valicella © Mégane Saint-Sulpice
Placé sur des grilles, chaud et fumant, le brocciu ne s’égoutte finalement que très peu.
Petit Guide 111 expériences remarquables en Corse
Guide de voyage Petit Guide 111 expériences remarquables en Corse Découvrir

Il est 6h du matin au domaine Valicella, en Corse-du-Sud...

Il y a des endroits comme ça, où on se sent bien de suite. C’est le cas à Valicella. Une ambiance apaisante de calme et d’osmose avec la nature prend place, dès les premières heures du jour. Valicella, traduisez "petite vallée" se trouve à quelques kilomètres de Figari, dans l'Extrême-Sud de la Corse. Un lieu-dit qui porte bien son nom : ici les plaines sont à pertes de vue, ponctuées de quelques vallons donnant du relief à ce paysage hors du temps. 

Les quelques 450 brebis du domaine sont réveillées depuis un moment lorsque j’arrive. Il est 6h du matin. Cette quiétude m’invite à contempler les montagnes qui se dessinent à l'aurore. Je chausse les bottes, enfile un tablier et place, somptueusement, une charlotte sur ma tête. Il ne fait pas jour que je me sens déjà au paroxysme de la beauté. 

brebis corses © Mégane Saint-Sulpice
Les quelques 450 brebis du domaine Valicella sont réveillées de bonne heure.
tomme corse valicella © Mégane Saint-Sulpice
Les tommes corses reposent sur les étagères de la fromagerie Valicella.

La journée a commencé depuis plusieurs heures ici. Les plus de 300 litres de lait des deux traites de la veille ont eu le temps de chauffer. A mon arrivée, ce lait est en phase de devenir du fromage. 

Tous les matins, c’est la Tomme Sartenaise qui est fabriquée en premier. La montée en température du lait lui a donné une texture compacte. Cette pâte encore chaude est déposée dans des alcôves percées de deux tailles différentes. Nos petites mains viendront effectuer une première presse. Une étape nécessaire donnant une jolie forme au fromage et permettant au petit lait de s’échapper. Ces tommes fraîches seront retournées, placées dans un linge, pressées puis salées. Toutes seront ensuite fumées durant une dizaine de jours et finiront en cave d’affinage pour plusieurs mois.  

Du chaudron à la faisselle, la tradition du Brocciu

Pendant ce temps, on s’affaire près du chaudron. Le petit lait des fromages a été récupéré. Du sel et du lait frais préalablement mit de côté sont ajoutés et la magie commence à opérer. La température monte doucement dans la fromagerie. Le petit lait arrive à une température de 80°C. J’ai l’impression d’être revenue en arrière et de faire des expériences d’apprentie scientifique. Après près d’une heure de chauffe, le petit lait est devenu une pâte chaude, dégageant l'odeur caractéristique du Brocciu frais. 

Produit identitaire et ancestral, la fabrication de ce produit répond au cahier des charges déterminé par l’AOP Brocciu Corse depuis 1998. C’est d’ailleurs le premier produit issu de l’élevage insulaire à avoir été distingué d’une AOP.  

fabrication brocciu corse valicella © Mégane Saint-Sulpice
La fabrication du Brocciu répond au cahier des charges déterminé par l’AOP.

Chaque brocciu est différent

Ce fromage frais, s’il ne passe pas entre les mains de gourmands comme moi, deviendra du "Brocciu Passu" si le fromager décide de laisser le temps le travailler au moins 21 jours, sans croûte.

On peut également retrouver la version salée, moelleuse et humide, le "Brocciu Salitu", ou encore le "Brocciu Secu" (affiné au moins 4 mois). Tous les producteurs ne produisent pas tous ces types de fromages ; le "secu" n’est pas habituel dans le sud de la Corse.  

Je me suis demandé pourquoi chaque brocciu était différent. Et la réponse de Thomas a été d'une grande simplicité : "nous n’avons pas tous le même troupeau".

Du brocciu toute l'année ?

Ici d'ailleurs, le brocciu se produit de décembre à juin. Un schéma de production dit "désaisonné", c'est-à-dire adapté à l’élevage en plaine et aux périodes de mise bas des brebis. En montagne, il peut arriver que le schéma soit inversé (dit "saisonné") : ce qui explique, parfois, le présence de Brocciu en plein été !

Dans le chaudron encore chaud, Thomas, Charlotte, El Adi et moi venons plonger nos petites faisselles en prenant soin de ne pas casser la pâte fragile. Placé sur des grilles, chaud et fumant, le brocciu ne s’égoutte finalement que très peu : vite emballé, il est aussitôt livré aux clients.  

Les heures sont passées dans la fromagerie. Les douces odeurs de ce nectar blanc m’ont ouvert l’appétit et je reconnais qu’il est difficile de ne pas plonger une petite cuillère dans ces faisselles ! 

Le fruit de la transmission dans la famille Marcellesi

Il est 8h30 quand nous mettons le nez dehors. L’heure pour le domaine d’entamer sa deuxième journée. La traite du matin arrive dans les cuves. Thomas se prépare pour les livraisons. A la fromagerie, on part en cave pour retourner les tommes quand à la bergerie on relâche peu à peu les brebis sortant de la traite. L’ambiance détendue au milieu de ce continuel mouvement est plaisante ; inspirante même. 

60 ans d'héritage agro-pastoral

Valicella est un domaine agricole familial initié dans les années 1960 par le grand-père de Thomas. Ici pâturaient les brebis, les cochons, les vaches… C’était une époque "où tout le monde avait des animaux et s’auto-alimentait".

Jean José, le père de Thomas, reprend le domaine dans les années 2000. Une reprise marquée par la structuration du domaine en véritable entité agricole et se recentrant sur l’élevage des brebis. C’est en 2017 que Thomas prend la relève. S’il ne se destinait pas à devenir le chef d’exploitation qu’il est aujourd’hui, le tournant s’est opéré de façon naturelle après son BTS Commerce International et ses quelques années de voyages. Il est aujourd’hui "heureux de travailler sur le domaine familial".

brebis corse valicella © Mégane Saint-Sulpice
Les brebis vadrouillent en plein air sur le domaine Valicella.

Chaque heure de chaque jour lui permet de revêtir une casquette différente. Artisan de nouvelle génération, Thomas travaille aux côtés de son père. L’un amène son expérience, ses connaissances et son recul, quand l’autre amène un regard neuf sur l’agriculture, des idées nouvelles en phase avec les modèles écologiques et économiques du moment.  

La double certification AOP et BIO

Aujourd’hui, les 200 hectares du domaine sont certifiés BIO. Les cinq hectares d’oliviers, en BIO également, sont gérés de façon naturelle. Une petite partie des parcelles est semée, le foin est auto-produit et le travail des sols est minutieusement contrôlé.  

Les produits sont labellisés AOP Oliu di Corsica et AOP Brocciu Corse. De la production à la vente, tout est maîtrisé. Tommes, yaourts, brocciu et huile d’olive se retrouvent au domaine, en épiceries fines, en magasins BIO ou encore dans la boutique des producteurs "u Core Paesanu".  

Une offre d'hébergement au coeur de l'exploitation

Pour s’immerger dans l’univers Valicella, il est aussi possible de dormir dans l’un des sept gîtes du domaine : de véritable havres de paix au milieu de l’exploitation, décorés avec soin.  

Un itinéraire savoureux chez Finidori et Nicolaï

Suivant les petits panneaux de la Route des Sens, j’ai décidé de poursuivre mon chemin. En Corse,  s’aventurer, c’est aussi un moyen de rencontrer des producteurs, des artisans.  

pierre paul nicolai domaine nicolai corse © Mégane Saint-Sulpice
Vermentinu, Sciaccarellu et Niellucciu s’épanouissent sur les terres de Pierre-Paul Nicolaï.

L'aventure vigneronne de Pierre-Paul Nicolaï

Un peu après Valicella, j’ai rencontré Pierre-Paul Nicolaï, jeune vigneron au sourire communicatif. Pierre-Paul à prit le temps de me raconter son installation initiée en 2011 sur les terres de son grand-père.  

De l’histoire familiale, marquée par l’ingéniosité de son grand-père, à la vie du vignoble d’aujourd’hui qu’il a mis près de 10 ans à restaurer, il m’a conté comment on devient vigneron en partant de rien. De cette aventure pleine de rebondissements, il en ressort que sa ténacité et sa foi face aux galères ferait "frémir les pragmatiques".

Le premier millésime voit le jour en 2020, et Pierre-Paul poursuit avec passion sa route vers la découverte de ce métier passionnant de vigneron. Vermentinu, Sciaccarellu et Niellucciu s’épanouissent sur ces terres, en coteaux, siglées de l'AOP Figari et cultivées en BIO.  

La charcuterie corse de Maxence Finidori

Un peu plus haut, c’est au domaine de Piscia que j’ai terminé mon petit road-trip. J’ai retrouvé ici Maxence Finidori, un agriculteur joyeux et plein d’humour qui élève environ 200 cochons noirs sur près de 60 hectares de maquis.

Maxence Finidori charcutier corse © Mégane Saint-Sulpice
Le prisuttu (jambon corse) de Maxence Finidori.

Producteur de charcuterie corse en AOP, Maxence m’a fait découvrir son exploitation, son atelier de fabrication de charcuterie artisanale et sa splendide cave d’affinage en sous-sol. Comme pour les fromages, la production de la charcuterie est saisonnière en Corse. C’est l’hiver, entre novembre et mars, que le plus gros de la "transformation" s’opère. Dans le respect des traditions, Maxence produit le traditionnel Figatellu (ou Figateddu), le saucisson, la Coppa, le Lonzu, les terrines et pâtés artisanaux? Et bien entendu le Prisuttu.  

Le résultat de cet itinéraire gourmand : un "spuntinu" haut en saveurs évidemment.

Qu'avez-vous pensé de cet article ?
Commentaires
  • Berthe 5/5 il y a 9 mois Il décrit superbement les produits de la terre CORSE, et le travail exceptionnel des producteurs CORSE. Répondre au commentaire
  • Zinczoolo il y a 9 ans I falculelle sont une spécialité typiquement Cortenaise et non Ajacienne !!!! Quant a l'imbrucciata a contrario est une spécialité typiquement du sud et les meilleurs sont faite à Sartene ! Quel méli mélo cet article !! Répondre au commentaire
  • Foire Du Fromage Corse De Venaco | Vacances Corses il y a 13 ans [...] trouverez tous les types de fromages Corses traditionnels à la Foire de Venaco. Mais aussi du Brocciu, de la tome Corse, des crottins de chèvre… Au programme : stands de présentation, dégustation [...] Répondre au commentaire
Commenter cet article*
Noter cet article* Si vous avez précédemment commenté et noté cet article, seule votre dernière note sera prise en compte.

Expériences à vivre

Retrouvez une sélection d'activités locales exceptionnelles et réservez directement, pour un voyage sans surprise.

Tous les trésors de la Méditerranée dans une newsletter.

Chaque mois, nous vous enverrons un condensé de nos plus belles découvertes par email. Gratuitement.

Le port de Limeni dans le Magne, Grèce. Église San Michele de Murato, Corse. Nuraghe de Santu Antine, Sardaigne.

Suivez-nous en Méditerranée