Face aux statues-menhirs de Filitosa, gardiennes du temps en Corse

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C'est au cœur du maquis, après une longue route dans l'intérieur des terres de Propriano, que la préhistoire insulaire révèle l'un de ses plus beaux vestiges : Filitosa. Un nom qui n'échappe à personne en Corse, encore moins aux passionné(e)s d'archéologie méditerranéenne.

Car à Filitosa, c'est tout un ensemble architectural et de mystérieux vestiges que trente années de fouilles ont révélés, dans les profondeurs de l'Ile de Beauté... Là-bas, des gardiennes de pierre, imperturbables, veillent sur un héritage millénaire propre à la Corse.

La découverte tardive - et fragile - de Filitosa

Avant qu'on ne révèle l'héritage inégalé de Filitosa, plusieurs grands noms de l'exploration historique avaient déjà fouillé les environs. L'auteur du célèbre roman Colomba, autrement dit Prosper Mérimée, fit ainsi des prospections dans la région au milieu du 19ème siècle ; en résulta notamment la description du dolmen de Sollacaro.

Mais jusqu'à la seconde guerre mondiale, personne ne tomba sur les vestiges du site. Rien. Il fallut attendre 1946 pour que le propriétaire des terres (une cinquantaine d’hectares vallonnés, traversés par un ruisseau et une forêt de chênes et d’oliviers), Charles-Antoine Cesari, ne découvre avec stupeur le visage d’un homme sculpté dans le granit. Il vient de tomber sur plusieurs statues-menhirs, et plus loin, sur des édifications très anciennes.

statue menhir filitosa
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Les ouvriers qui l'accompagnent, peu convaincus, veulent utiliser les blocs de pierre pour marquer les bornes du domaine. On raconte que Charles-Antoine Cesari s’exclama alors : "Je n’ai jamais mis de chaîne au cou d’un homme, je ne vais pas commencer à le faire, même avec un homme de pierre".

Quelques années seront nécessaires pour que les autorités régionales n'officialisent l'héritage préhistorique de Filitosa. Grâce à l'aide du propriétaire - dont la famille assure toujours la conservation du site - ce sont des témoignages millénaires qui survivent aujourd'hui en Corse.

2h d'exploration archéologique dans un écrin de nature

Parmi les traces les plus anciennes de la présence humaine en Corse, les recherches situent l'occupation de Filitosa aux alentours du 6ème millénaire avant J-C, soit au cours du Néolithique ancien. Les rares habitants du site vivent alors dans des abris sous-roche, et ne doivent leur subsistance qu'à la chasse, la pêche et la cueillette alentours.

Le groupe de Filitosa utilise des outils en bois ou en roche dure comme le silex ou l’obsidienne. La présence à Filitosa de cette roche noire volcanique est d’autant plus remarquable que l’obsidienne n’existe pas à l’état naturel en Corse. Il faut donc l’importer, vraisemblablement du Monte Arci en Sardaigne. Les Corses communiquent déjà, par le détroit de Bonifacio, avec leurs voisins de Sardaigne.
— Guide papier - Site de Filitosa

Ce n'est que le début archaïque mais déjà ouvert sur le monde de l'aventure humaine à Filitosa. Personnellement, j'ai bien passé 2 bonnes heures à explorer ce lieu naturel empreint de magie et de mystère ; l'ambiance sonore et les balises audio étaient là pour nourrir le récit captivant du site.

On découvre donc sur le parcours accidenté des abris rocheux des chasseurs / cueilleurs du Néolithique Ancien, ou encore (plus tard dans la frise historique) des traces laissées par les agriculteurs / éleveurs qui habitaient des cabanes en pierre ou en bois. Plus nombreuse, plus "organisatrice" de son milieu, cette population est à l'image des peuples européens : c'est à cette époque que se dressent les premiers menhirs, mal dégrossis, formes les plus primaires du mégalithisme (de "megas", grand ; et "lithos", pierre).

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Mais le trait singulier de ces mégalithes reste leurs sculptures ; car les corses de l'époque, et plus particulièrement ceux de la région du Taravu, s'étaient fait une spécialité des statues-menhirs, à tel point que l'on dénombre 73 monuments préhistoriques de ce genre dans l'île... soit près de la moitié des statues-menhirs sur le territoire français. Mieux : la Corse est considérée comme "exceptionnelle dans le bassin méditerranéen où les menhirs sont forts rares".

Filitosa V est, par exemple, l’un des mégalithes de pierre les mieux conservés. On y voit notamment les armes du guerrier, des détails vestimentaires et même son squelette de pierre avec sa colonne vertébrale et ses omoplates.

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Au fil du temps, les "stantari" (signifiant approximativement "hommes debout" en langue corse) se dotent de traits du visage de plus en plus réalistes et d’un équipement de guerrier complet. Les historiens avancent plusieurs hypothèses sur la signification de ces statues. Elles pourraient être les glorifications des héros de la tribu. Mais elles pourraient aussi imiter les chefs guerriers ennemis tués au combat, pour emprisonner leur force et les empêcher de se manifester au combat.

A ce patrimoine archéologique inédit en Méditerranée s'ajoute le mur défensif cyclopéen qui entoure la colline et les habitations de pierre. Le tout dans un environnement naturel qui vaut en lui-même la promenade, avec ses alternances de maquis et de petites plaines riches en oliviers centenaires et en plantes endémiques.

L'autre "curiosité" de Filitosa, c'est l'architecture des "torre", bâties par les "torréens", un "peuple de la mer" installé dans la région aux alentours de 1600 av. J-C. Fait surprenant, les torréens, succédant aux habitants ayant édifié les statues-menhirs, ont détruit une grande partie de ces "stantari" pour construire leurs édifices avec.

Pourquoi tant de cruauté ? Les historiens pensent que les ennemis représentés sur les statues étaient justement... les torréens. D’où la vengeance...

Des "torre" corses aux "nuraghi sardes", une histoire commune des fortifications

Si vous avez visité la Sardaigne, et pris le temps d'explorer son passé, vous ferez certainement le lien entre les nuraghi qui jonchent l'intérieur de l'île voisine, et les mystérieuses "torre" édifiées sur le site de Filitosa. Car la civilisation torréenne corse et celle des peuples nuragiques sardes, ou encore celle qui construisit les "talayots" des Baléares, semblent s'influencer mutuellement...

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Ces complexes monumentaux, dit-on, furent donc construits au cours de l'Âge du Bronze, soit 1800 ans environ avant J-C. "Filitosa en compte deux, [...] complétées par une plateforme de surveillance de l'entrée principale. Une enceinte dite cyclopéenne enserre le site. Les habitats groupés et fortifiés sont appelés les castelli." (guide papier de Filitosa).

Bien qu'on les considère comme des édifices militaires, ou en tout cas défensifs, leur usage social devait plutôt servir à des rites voire à du stockage de biens. Mais les "torre" n'ont pas révélé à ce jour tous leurs secrets. Passionnant.

Se rendre sur le site archéologique de Filitosa depuis Ajaccio

Au départ d'Ajaccio (puisque c'est certainement de là que vous partirez), comptez 1h15 de route tranquille vers le sud avec un bon passage au cœur de la nature. 2 routes sont possibles : soit en passant par Pietrosella, soit par Santa-Maria Sichè et Petreto-Bicchisano.

Le billet d'entrée vous coûtera entre 7€ (enfants) et 9€ (adultes), mais vous devrez débourser quelques euros de plus si vous souhaitez vous promener avec le guide papier très détaillé. Je l'ai personnellement acheté et ne le regrette pas.

Enfin, ne pensez pas visiter Filitosa en hiver : le site ferme entre le 1er novembre et fin mars. Donc un passage à Filitosa pour les vacances de la Toussaint reste possible (et idéal grâce à la douceur du climat en cette période). Pour avoir des informations supplémentaires, comme les jours et heures de visite, rdv sur le site officiel de Filitosa.


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