portrait pascal paoli

Le destin utopique de Pascal Paoli, un révolutionnaire corse au siècle des Lumières

Par Ange 6 min. de lecture
  • Immersion culturelle
4.8/5 (6)

Pascal Paoli. En Corse, impossible d’échapper à ce nom. Il est porté par de nombreuses places des villes et villages, Corte en tête. Pourquoi ? Parce que Pascal Paoli est considéré comme le père du patriotisme Corse - le "Babbu di a Patria". Il a vécu au 18ème siècle, et pourtant son aura n’a fait que gagner en intensité avec le temps.

Précurseur de la démocratie sur l’île, Paoli a marqué toute l’Europe des Lumières par ses idées éclairées, alors même que la révolutions populaires n'avaient pas encore menacé les grandes monarchies. Tout cela en moins de 10 ans de gouvernance. Retour sur l'itinéraire philosophique et révolutionnaire d'un homme providentiel.

Au sommaire
  • L'héritier d'une famille de "rebelles éclairés"
  • Un leader providentiel en pleine "Guerre de 40 ans"
  • Les grands projets menés par Pascal Paoli
  • Gênes face à la Corse de Paoli
  • Rousseau, Pascal Paoli et la "Grande Constitution"
  • La Corse cédée à la France avec le Traité de Versailles

L'héritier d'une famille de "rebelles éclairés"

1725. Dans le village de Morosaglia, près du village tortue de Moltifao en Haute-Corse, Pascal Paoli voit le jour. Son père, l’illustre Hyacinthe Paoli – l’un des trois grands meneurs de la révolution contre Gênes - l’emmène dans son exil à Naples en 1739.

Là-bas, Pascal Paoli découvre les philosophes des Lumières et leurs essais politiques. Loin des yeux ne veut pas forcément dire loin du cœur… Adulte et officier dans les armées napolitaines, il réfléchit à un projet politique révolutionnaire pour son île de beauté.

Pascal Paoli, le Père de la Patrie Corse.
Pascal Paoli, le Père de la Patrie Corse.

Tandis que quelques corses exilés à Rome jouent la carte du rapprochement avec Malte - une cause perdue d'avance - Pasquale Paoli, gradé dans l'armée du Roi des Deux Siciles, reçoit plusieurs lettres l'enjoignant de revenir dans son pays pour y mettre son talent au service de la nouvelle nation corse.

Le futur "Père de la Patrie" lit, écrit abondamment, se prépare au retour, et en 1755, saute le pas définitivement. Le 13 juillet 1755, ses compatriotes le proclament officiellement "Général de la Nation" au Couvent Saint-Antoine de Casabianca.

Un leader providentiel en pleine "Guerre de 40 ans"

Mais comment un homme, même héritier du célèbre Hyacinthe Paoli et petit frère de Clemente, peut-il aussi facilement mobiliser le peuple autour de lui ?

Paoli incarne pour l'époque l'équilibre idéal entre la sagesse antique, l'intelligence et un esprit moderne. Mais surtout l'amour de la patrie. "Ses contemporains le dépeignent d'un extérieur imposant, énergique et calme, avec une parole assurée qui inspire la confiance", résume Louis Villat dans son Histoire de Corse.

L'historien Antoine Albitreccia nous parle aussi de son "regard pénétrant et toutefois extrêmement calme ; au moral, un homme simple, avec une pointe de rudesse paysanne, doué d'un sens très aigu de la justice".

Place Paoli à Corte
La statue de Pascal Paoli à Corte, fief historique.

Les grands projets menés par Pascal Paoli

Déjà convaincu de la stratégie à déployer dans l'île pour la réorganiser profondément, le général de la nouvelle République choisit Corte comme centre du pouvoir insulaire. Face au peu de compétences de ses représentants, il occupe toutes les responsabilités, avec "une puissance réellement dictatoriale", que le peuple restait toutefois libre de lui retirer, nous dit Antoine Albitreccia.

Une véritable armée est constituée, avec une marine de guerre et le service militaire rendu obligatoire.

Une Assemblée Nationale, nommée "Consulta", réunit 1 député pour 1000 habitants. Tous les citoyens de plus de 25 ans ont le droit de vote.

On fait frapper une monnaie corse.

L'industrie comme l'agriculture sont activement soutenues par le Général, qui fait ouvrir des mines et introduit la pomme de terre dans les fermes insulaires (ce qui lui vaut le surnom de "generale delle pattate" chez ses ennemis).

Et pour éduquer la future génération corse, le Général lance un projet jusqu'ici inconnu en Corse : la création d'une Université, de rang international. Celle-ci sera inaugurée à Corte en 1765... Pour quelques années seulement. Durant ce laps de temps, Paoli aura réussi à endiguer la "fuite des jeunes cerveaux" insulaires grâce aux bourses et à une grande qualité d'enseignement.

Pour lutter contre le fléau de la vendetta et une violence endémique, Paoli instaure la "Ghjustizia Paolina", un cadre légal répressif et exemplaire. La preuve : même un membre de la famille du général est condamné à la peine capitale pour son crime.

Toutes ces grandes décisions ont-elles un effet réel sur la population ? Les chiffres parlent d'eux-mêmes : la natalité bondit en quelques années, signe de prospérité et de sécurité retrouvées.

"Voltaire et Rousseau n'hésitèrent pas à proclamer leur admiration", nous dit l'historien Antoine Albitreccia, devant un projet aussi surprenant de la part d'une Nation aussi petite et chaotique. "Mais ce monument aux apparences splendides n'était-il pas élevé sur des fondations d'argile ?"

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Gênes face à la Corse de Paoli

Évidemment, les traîtrises continuent de couver en Corse, a l'instigation de Gênes.

Le jeune Emmanuel Matra, de famille aisée et perclu d'ambition, se laisse séduire par les promesses des Génois et attaque Paoli. Ses premières tentatives contre les naziunali sont désastreuses, mais il échappe à la mort et réussit, en mars 1756, à prendre le Général par surprise alors qu'il se trouve avec quelques dizaines d'hommes seulement dans le couvent de Bozio. Seule l'intervention de Clemente Paoli et de son allié du moment, Thomas Cervoni, permet de casser le siège du monument. Matra meurt alors qu'il tente de s'enfuir.

Rongés par leur impuissance, les Génois en appellent de nouveau à la France en août 1756. Le Traité de Compiègne engage les troupes de Louis XV dans la pacification du littoral corse. Plusieurs citadelles sont occupées par les Français, mais Paoli conserve son pouvoir dans l'intérieur de l'île. Les confrontations sont rares. On s'observe, pour attendre de voir comment vont tourner les évènements.

D'ailleurs, le vent tourne rapidement, puisque la France se retire en 1759 (Guerre de 7 ans oblige).

bd nationalisme corse © Dargaud
Pascal Paoli est appelé dans le récit de cette bande-dessinée sur le nationalisme Corse.

Pendant ce temps, la jalousie couve toujours devant le pouvoir du Général ; les grandes familles du Delà des Monts menacent à leur de faire sécession, fidèles à la tradition médiévale insulaire du chacun pour soi.

Pasquale Paoli affiche là encore son esprit de stratège et sa détermination en allant immédiatement au devant des contestataires : il offre même à leur leader, Antoine Colonna, le commandement des forces du Sud au nom de la jeune République de Corse.

Ainsi l'affaire est gagnée ; les rebelles du Pumonte deviennent de farouches soutiens à la cause paoline. L'esprit de division espéré par Gênes s'éteint dans la majorité des pièves corses.

En 1760, seuls les bastions historiquement acquis à Gênes restent imprenables par les indépendantistes, même si ces derniers sont de plus en plus pertirbateurs - à Ajaccio notamment. Et pour rallier les ajacciens à sa cause, Paoli leur accorde les mêmes droits que les corses "libres".

Gênes enrage, incapable de régler seule la "question corse".

Rousseau, Pascal Paoli et la "Grande Constitution"

C'est alors qu'une rumeur, moquée par certains politiciens et penseurs de l'époque, se met à courir dans les cercles lettrés.

Jean-Jacques Rousseau aurait répondu positivement aux demandes des insulaires pour leur rédiger une grande constitution. Rumeur incroyable qui s'avère... Vraie.

Seulement il faut se rendre à l'évidence : le philosophe est trop malade pour mener le projet à bien ; et de toute façon, Gênes et la France s'apprêtent à signer un accord fatal pour la Corse indépendante. La constitution corse de Rousseau restera un beau rêve des Lumières.

La Corse cédée à la France avec le Traité de Versailles

Finalement la réalité frappe de plein fouet le moral des paolistes en mai 1768 : Gênes s'engage par le Traité de Versailles à laisser la Corse en "gérance" au Royaume de France.

Les Français sont arrivés à leurs fins. Car cette session temporaire sur le papier sera définitive, la République ligure n'étant plus que l'ombre d'elle-même sur les plans économique, politique et militaire.

L'année qui suit l'accord remet les indépendantistes sur le sentier de la guerre ; ils n'ont pas le choix. Après plusieurs mois de conquête, l’armée française progresse rapidement et la rencontre ultime avec les forces paolistes se fait donc au niveau du Ponte Nuovo

bataille de ponte novu en corse 1769 © LebrechtMusicArts
La bataille de Ponte Novu, une date-clé de l'Histoire de Corse.

Au total, ce sont plusieurs dizaines de milliers de combattants qui s’opposent dans cette sanglante bataille, ce 8 mai 1769.

Voltaire aura une célèbre formule au sujet de cette bataille : "L’arme principale des Corses était leur courage. Le courage des Corses fut si grand qu’ils se firent un rempart de leurs morts pour avoir le temps de charger derrière eux et leurs blessés se mêlèrent parmi les morts pour affermir le rempart. On ne voit de telles choses que chez les peuples libres."

La défaite est cuisante pour les "naziunali" ; mais avec environ 400 morts sur le pont et sur les rives du Golo, il s'agit surtout d'une défaite symbolique et morale.

Face au massacre, Pascal Paoli, qui avait demandé à ses troupes d’abandonner le combat, prend quelques mois plus tard la fuite en bateau vers l’Angleterre.

Paoli est autorisé à retourner en Corse en 1790. Il prend alors le commandement des gardes nationales. Mais ses expéditions militaires ne sont que des échecs. Et pour couronner le tout, il est accusé de traîtrise par ses alliés à Paris.

Changement de tactique. En 1794, Paoli promulgue une nouvelle Constitution et place la Corse sous la protection de l’Angleterre. Mais, surprise : il est écarté du pouvoir et rappelé en Grande-Bretagne. Il ne reviendra jamais vivant en Corse.

Il meurt à Londres en 1807. Triste compensation pour les Corses : les cendres de Pascal Paoli reposent dans son village natal de Morosaglia, à l'entrée de la magnifique Castagniccia.

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Commentaires
  • Nicole 4/5 il y a 6 mois Intéressant mais un peu trop sommaire (Paoli lisait Nietzsche et était un homme très cultivé) mais bien sûr l'homme d'action épris d'un idéal s'impose... Et il finit tristement sa vie à Londres. Son destin me touche tout en n'étant pas corse moi-même. Répondre au commentaire
    • Pierre-François G. il y a 3 mois @nicole Nietzsche est bien postérieur a Paoli . Il n a donc pas lu Nietzsche Répondre au commentaire
  • Viviane 5/5 il y a 1 an L'article est bien documenté et c'est très interessant de pouvoir se procurer en plus le petit guide qui est une source magnifique d'histoire. Répondre au commentaire
    • Ange Pozzo Di Borgo Auteur il y a 1 an @viviane merci pour ce commentaire encourageant et pour l'achat de notre guide ! Répondre au commentaire
  • Bruno 5/5 il y a 1 an Superbement détaillé Répondre au commentaire
    • Ange Pozzo Di Borgo Auteur il y a 1 an @bruno merci, on essaie de faire honneur à l'histoire ! Répondre au commentaire
  • Marc 5/5 il y a 1 an Excellent article sur la vie du grand Pasquale. Dommage qu'il ne fasse pas ressortir l'importance de la franc-maçonnerie dans sa vie et son oeuvre. Répondre au commentaire
    • Ange Pozzo Di Borgo Auteur il y a 1 an @marc certes ! Mais il vaut mieux pour ça se rabattre sur un bon livre d'histoire, et creuser le sujet, puisque j'avoue ne pas avoir assez d'éléments pour associer réellement Paoli à la Franc-Maçonnerie... Répondre au commentaire
  • Doumè 5/5 il y a 1 an Très bon Répondre au commentaire
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